Journée d’études et de création organisée par Paolo Bellomo (TRADUCTEUR), Camille Bloomfield (UNIVERSITÉ SORBONNE PARIS NORD, PLÉIADE, OUTRANSPO) et Irène Gayraud (SORBONNE UNIVERSITÉ, CRLC, OUTRANSPO)
La question de la traduction de la contrainte est particulièrement fascinante en ce qu’elle offre une perspective originale pour penser la traduction littéraire en général. L’étude de la traduction des textes contraints rend en effet visibles des stratégies traductives habituellement masquées : faut-il traduire par exemple la forme du texte, son jeu-même, ou plutôt le résultat produit par celui-ci ? Est-ce possible de faire les deux à la fois ? Comment traduire une littérature faite notamment de formes fixes, ou fondée sur des procédés sonores, rythmiques voire visuels qui la situent parfois dans le champ de l’intraduisible ? On pense évidemment au corpus oulipien, des Cent mille milliards de poèmes aux Alphabets de Perec, en passant par Compléments de nom, le poème infini de Michèle Métail ou les poèmes en anagrammes d’Oskar Pastior, mais aussi aux formes antiques ou médiévales (notamment combinatoires) et à leur réappropriation par les poètes contemporains.
En effet, la poésie, en tant qu’elle adopte très souvent une forme spécifique (qui peut porter sur le vers, la strophe, la forme des poèmes ou même celle des recueils), que celle-ci soit fixée par la tradition (le sonnet, l’alexandrin…) ou inventée pour un recueil en particulier (comme dans ∈ de Jacques Roubaud ou l’Ipersonettod’Andrea Zanzotto), pose à la traduction des questions très proches de celles de la littérature à contrainte. D’une certaine manière, la poésie est déjà littérature à contrainte, de même que la traduction est déjà écriture à contrainte. Comment, dès lors, faire dialoguer les travaux sur la traduction de la poésie avec ceux sur la traduction de la contrainte ? S’agit-il des mêmes questionnements, pour les traducteurs et pour les chercheurs ? Y a-t-il une différence entre traduire une forme poétique fixe et traduire un texte écrit avec une contrainte inédite ?
Dans la réflexion que nous nous proposons d’avoir, la contrainte n’est pas seulement formelle. De même, elle n’affecte pas seulement les textes. Elle peut aussi investir les conditions de production de la traduction : traduction collective, traduction-minute, traduction en collaboration avec l’auteur, auto-traduction… Les formes de la contrainte choisie sont donc multiples, mais la démarche diffère radicalement des traductions faites “sous contrainte”, c’est-à-dire dans des conditions imposées par quelqu’un d’autre que l’auteur·rice.
La traduction de la contrainte permet en outre d’interroger la pratique du traducteur et la pensée de la traduction qui l’habite plus ou moins consciemment. En quoi le traducteur d’une littérature à contrainte reproduit-il et démultiplie-t-il le geste de l’auteur, de l’oeuvre originale ? En effet, plus le texte résiste à la traduction, plus le traducteur doit réinventer ses outils, son éthos, et répondre aux appels de l’intraduisible, en assumant que son œuvre actualise seulement l’une des possibles vies de l’original dans cette langue étrangère. Cela permet-il à ces traductions d’agir à la fois comme lectures critiques et miroirs poétiques et donc d’interpréter autrement les œuvres originales ?
Sur le plan méthodologique et organisationnel, la journée sera ouverte à des formes innovantes et participatives d’intervention ainsi qu’à de la recherche-création ; elle mêlera communications scientifiques, tables rondes faisant dialoguer poètes, traducteurs et chercheurs, et lectures ou performances poétiques. Co-organisée notamment par deux membres de l’Outranspo (Ouvroir de translation potencial), elle inclura un atelier de traduction de poésie à contrainte animé par quelques membres de ce collectif.
Réservations obligatoires (jauge réduite) par mail avant le 1er juin à l’adresse camille.bloomfield@univ- paris13.fr
Quelques références bibliographiques
« Translating constrained literature / Traduire la littérature à contrainte », dossier coordonné par C. Bloomfield et D. Schilling, Modern Language Notes (French Issue), The Johns Hopkins University Press, vol. 131 n°4, septembre 2016, 162 p.
“Traduire la contrainte”, revue Formules n°2, Noesis, 1998, 270 p.
- Cordingley, C.Frigau Manning (dir.), Collaborative translation : from the Renaissance to the Digital age, London, New York, Bloomsbury Academic, 2017, 260 p.
“Voyage et équipage”, Cahier “Traduire en équipe”, revue Traduire n°233, 2015, URL : https://journals.openedition.org/traduire/720
- Weissmann, V. Broqua, Sound /Writing : traduire-écrire entre le son et le sens. Homophonic translation – traducson – Oberflächenübersetzung, Editions des archives contemporaines, Coll. «Multilinguisme, traduction, création», 2019.
- Samoyault, « Vulnérabilité de l’oeuvre en traduction », Genesis, n° 38, 2014, p. 57-68.